AFFAIRE NKELENG : ÉTAT DES LIEUX
- bamekausa
- 27 juin
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Dernière mise à jour : 5 juil.
En date du 02 juillet 2021, nous avons été conviés par Sa Majesté Jean Raymond TAKOUKAM, Roi des Bameka à assister à la descente sur le terrain de la Commission Nationale de Règlement des Litiges Relatifs aux Limites des Circonscriptions Administratives et Unités de Commandement Traditionnel programmée le 06 juillet 2021.
Réagissant promptement à cette sollicitude, nous avons immédiatement entamé la collecte d’informations et tous autres documents susceptibles d’éclairer notre lanterne.
Rendus à Bameka le 05 juillet 2021, nous avons tenu une séance de travail préalable à la Chefferie Supérieure le même jour. C’est au cours de ladite séance de travail que Sa Majesté nous a confié la lourde responsabilité d’assurer la défense des intérêts de notre Groupement dans le conflit frontalier avec le Groupement Bamougoum.
Il ressort de l’ensemble de la documentation consultée et des témoignages recueillis ce qui vous est livré dans les prochaines lignes axé autour de l’unique point qui consiste en la présentation de l’état des lieux.
Le différend frontalier entre les Groupements BAMOUGOUM et BAMEKA est antérieur à la deuxième guerre mondiale. Courant 1924, le peuple Bamougoum accuse le peuple Bameka d’avoir assassiné sur le terrain litigieux un des leurs et comme preuve, ils brandissent le bras sectionné d’un homme décédé d’une mort naturelle et l’attribuent à celui d’une prétendue victime des actes d’agressions des populations vivant dans la zone de conflit. Le peuple Bameka clame en vain son innocence. Poursuivi devant les instances judiciaires de l’époque, le Chef du Groupement Bameka, sa Majesté TAKOUKAM plaide non coupable mais sans succès. La sentence est sévère : il est condamné à 7 ans de déportation et envoyé à Campo, puis à Yaoundé.
Contraint de quitter les siens, mais serein et convaincu de l’innocence de son peuple, le Chef Supérieur Bameka leur dira avec fermeté et assurance cette célèbre phrase pleine de symbolique :
« Même si je venais à mourir, n’abandonnez pas notre terre de N’sang ».
Au cours des 7 années de déportation du Chef Supérieur Bameka, les autorités administratives et judiciaires enregistrent de nombreuses dénonciations et autres confidences au sujet de l’innocence du peuple Bameka et partant de leur Chef. Ces autorités poursuivent les investigations mais sans grand succès. Courant 1928 la vérité finit par triompher : le prétendu mort dont le bras avait été présenté comme preuve de la barbarie meurtrière du peuple Bameka, se présente aux autorités et leur révèle qu’il avait été contraint à la séquestration et au musèlement pendant toutes ces années afin d’asseoir la conviction de ces dernières contre le peuple Bameka et leur Chef.
Fort de cette vérité rétablie, Sa Majesté TAKOUKAM retourne triomphalement à Bameka la même année (1928).
Tous les autres chefs des Groupements de la Subdivision de Bafoussam (actuel Département de la Mifi, dont dépendait aussi BAMEKA), informés de la machination ayant conduit leur pair à la déportation, s’accordent pour reconnaître au Chef Bameka son droit inaliénable sur les terres objet du conflit frontalier.
Sur le plan administratif, les autorités poursuivent la recherche d’une solution définitive à cette affaire susceptible de troubler l’ordre public.
C’est dans cet élan que par décision N°-210/DR/RBK du 04 Octobre 1955, l’autorité coloniale de l’époque, M. DELAUNEY, Administrateur en Chef de la France d’Outre-Mer et Chef de la Région Bamiléké met sur pied une Commission ad-hoc à l’effet de procéder à la délimitation des chefferies Bameka et Bamougoum.
Cette commission clôture ses travaux par un procès-verbal dressé le 22 Février 1956.
Fort des constatations et des conclusions du Procès-verbal de la commission ad-hoc du 22 Février 1956, M. DELAUNEY prend la décision N°- 102/DR/RBK en date du 13 Avril 1957 fixant les nouvelles limites entre les villages Baméka et Bamougoum.
Cette décision vient ainsi mettre fin à plus de 40 années de conflit frontalier entre les deux Groupements voisins ; elle a l’avantage d’indiquer les repères de délimitations qui existent toujours.
Bien plus, elle précise qu’un croquis est joint en annexe et que la délimitation y est matérialisée par une ligne constituée des croix.
En son article 2, cette décision indique que le Chef de la Subdivision de Bafoussam (actuel Département de la Mifi) dont dépendaient les deux Groupements est chargé de placer des bornes tous les 500 mètres sur la limite sus indiquée.
Malheureusement, la décision sus évoquée pourtant devenue définitive, (aucune partie en cause ne l’ayant contestée), a connu un retard considérable dans son exécution.
De multiples raisons peuvent sans doute l’expliquer :
L’année 1957 se situe en pleine période trouble que connaît la Région Bamiléké depuis 1955 avec ce qu’il convenait d’appeler « guerre de décolonisation ».
Au lendemain de l’Indépendance du Cameroun acquise le 1er Janvier 1960, les préoccupations essentielles portaient sur la réalisation de l’unité nationale et le développement économique, social et culturel du pays. Ce qui supposait une stratégie globale et les efforts de tous les citoyens mobilisés autour de ses chefs.
En 1961, naît la République Fédérale du Cameroun, la question de la mise en place des institutions fédérales préoccupe au plus haut point les autorités ; sans oublier la situation sécuritaire toujours préoccupante dans la Région de l’Ouest qui ne connaitra l’accalmie qu’en 1971 , ce qui favorise la reprise du cours normal de la vie.
Ainsi, en Février 1972, le peuple Bameka par son Chef, saisit l’autorité compétente le Chef de la Subdivision de Bafoussam (actuel Département de la Mifi) pour solliciter l’exécution de la décision N°- 102/DR/RBK du 13 Avril 1957.
La première descente a lieu au cours du même mois de février 1972, les autorités compétentes entreprennent une descente dite de reconnaissance des lieux sur le site, l’étape suivante devant consister à la pose effective des bornes.
Le 20 Mai 1972 intervient l’avènement de l’Etat unitaire du Cameroun avec la mise en place de nouvelles institutions ; toute chose susceptible d’occasionner une fois de plus des lenteurs dans l’exécution.
Il convient de rappeler que durant toutes ces années d’attente (depuis 1957), les populations de Bamougoum, dans un esprit expansionniste occupent progressivement les espaces appartenant à Bameka au mépris de la décision N° 102/DR/RBK malicieusement ignorée.
Cette occupation anarchique semble leur donner l’illusion qu’elles pourraient se prévaloir de leurs mises en valeur pour obtenir la modification des limites définitives fixées en 1957.
Le 16 Octobre 1975, les membres de la commission chargée d’implanter les bornes sur les limites définies par la décision du 13 Avril 1957 se rendent de nouveau sur le site. Parmi eux se trouve un député, l’Honorable TAMEZA FOGUE Christian. Au cours de la séance de travail de cette commission, ce député est surpris par les prises de position du Sous-Préfet de Bafoussam de l’époque qui s’écartait littéralement des repères de délimitations contenues dans la décision N° 102/DR/RBK ; non sans imposer aux membres de la commission de prendre en considération les nouvelles mises en valeur des Bamougoum, afin de refaire un nouveau tracé.
Offusqué, le député TAMEZA saisit le Gouverneur de la Province de l’Ouest par une correspondance datée du 28 octobre 1975 au travers de laquelle il dénonce l’attitude du Sous-Préfet et sollicite que les travaux soient repris par une autre commission qui serait présidée par une personnalité neutre (autre que l’une des deux autorités administratives dont les Groupements sont concernés).
Par courrier du 23 février 1976, sa Majesté TAMBO Félix, Chef Supérieur Bameka, saisit le Préfet du Département de la MIFI pour dénoncer les actes de violations répétées des populations Bamougoum dans la zone appartenant à Bameka tout en formulant le vœu qu’une nouvelle commission de délimitation soit mise sur pied.
Réagissant à la requête de l’Honorable TAMEZA, et à la sollicitation de Sa Majesté TAMBO Felix une commission ad-hoc est mise sur pied par le Gouverneur de la Province de l’Ouest.
Après plusieurs rencontres utiles, la commission ad-hoc tient sa dernière réunion le 21 Avril 1977 avec la participation de leurs Majestés TAMBO Félix de Baméka, FOTSO KANKEU de Bamougoum, SOKOUDJOU Jean Rameaux de Bamendjou ainsi que celle des notables OUMBE TAFOK, DEFFO KAMTE et DEFFO BUKO.
Les travaux de cette commission sont sanctionnés par le procès-verbal N°- 44/ABD/SA du 26 Avril 1977. Il en ressort clairement que toutes les parties prenantes se sont mises d’accord pour l’implantation des bornes de délimitation en respectant les repères indiqués dans la décision N°-102/DR/RBK du 13 Avril 1957.
Après ce premier acte formel de commencement d’exécution de la décision N°-102/DR/RBK du 13 Avril 1957, les actes de provocations et d’agressions divers ont repris de plus bel dans la zone litigieuse, toute chose qui a entrainé une très longue trêve sur le processus déjà entamé.
Entretemps, plusieurs Chefs se sont succédé à la tête du Groupement Bameka, la situation est restée préoccupante dans la zone de conflit.
En 2005, Sa Majesté Jean Raymond TAKOUKAM arrive au trône ; le parachèvement de l’exécution de la décision N°-102/DR/RBK du 13 Avril 1957, amorcée en 1977 est toujours attendu.
En 2011, de nouveaux affrontements sanglants entre les deux communautés sont enregistrés dans la zone de conflit ; le bilan affiche des pertes en vies humaines, des destructions massives et des enlèvements entre autres. L’autorité administrative et les deux Chefs de Groupements effectuent une descente sur le site des évènements. Le Chef du Groupement Bameka a bon espoir que cette fois, les lignes vont bouger un peu. Rien de concret ne se fait malheureusement.
Le 15 septembre 2014, Sa Majesté Jean Raymond TAKOUKAM, Chef Supérieur Bameka, saisit le Gouverneur de la Région de l’Ouest d’une requête aux fins de matérialisation de la frontière entre les Groupements Bameka et Bamougoum en exécution de la décision N°-102/DR/RBK du 13 Avril 1957, appuyée du procès-verbal N° 44/ADB/SA du 26 avril 1977.
Par correspondance du 25 septembre 2015, le Gouverneur de la Région de l’Ouest invite le Chef du Groupement Bameka à se retrouver sur le site de Nkeleng le 28 septembre 2015.
Sa Majesté Jean Raymond TAKOUKAM, répond spontanément à cette invitation ; il croit fermement que l’invitation du Gouverneur fait suite à sa requête du 15 septembre 2014.
Y étant, il découvre que c’est plutôt le Secrétaire Général de la Région qui est chargé de présider la rencontre.
Prenant la parole, Sa Majesté Jean Raymond TAKOUKAM s’emploie à faire un rappel historique et chute en indiquant que son peuple et lui sont toujours en attente de la mise en exécution de la décision N°-102/DR/RBK du 13 Avril 1957.
Grande sera sa surprise de constater que le Secrétaire Général de la Région s’en prenne violement à lui et laisse entendre à l’assistance que la décision N°-102/DR/RBK du 13 Avril 1957 était un acte colonial sans valeur à ses yeux. Il avait ainsi pris fait et cause pour le Groupement Bamougoum, oubliant que le Cameroun dans son appellation actuelle, ainsi que dans sa forme est un héritage colonial, au même titre que les actes ayant permis à l’Etat du Cameroun de récupérer la presqu’île de Bakassi !!!
Il faut relever qu’en 1993, le Groupement Bamougoum avait réussi à obtenir du Premier Ministre, le déclassement de la réserve forestière de Bamougoum et le classement compensatoire de la réserve de KOUABANG située dans la zone de conflit et appartenant à Baméka ; Nkeleng étant ainsi devenue KOUABANG !!!
La convention provisoire de gestion de ladite réserve forestière a été signée en 2012 entre le Ministère des Forêts, de la Faune et de la Pêche, et le Maire de la Commune de Bafoussam 3éme de laquelle dépend Bamougoum.
Le 22 octobre 2015, le Chef Supérieur Baméka saisit de nouveau le Gouverneur de la Région de l’ouest d’une requête ayant pour objet « matérialisation de la frontière entre les Groupements Bameka et Bamougoum ».
Les copies de cette requête sont à dessein déposées au Cabinet du Président de la République, au cabinet de Premier Ministre ainsi qu’au MINATD.
Alors que les populations Baméka, respectueuses des institutions Républicaines et éprises de paix séculaire, attendent la matérialisation effective de la délimitation entre les deux groupements par l’implantation des bornes prévues à l’article 2 de la décision N°-102/DR/RBK du 13 Avril 1957; un groupe de personnes se réclamant de la 4éme génération des descendants BASSANG s’invite dans ce contentieux vieux de plus de 60 ans et formule la demande de la reconnaissance administrative de la communauté Bassang, arguant de ce que leur territoire se situerait dans la zone de conflit à califourchon sur les Groupements Bamougoum et Bameka.
Sur ces entrefaites, la Commission Nationale de Règlement des litiges Relatifs aux Limites des Circonscriptions Administratives et Unités de Commandement Traditionnel effectue une descente sur les lieux le mardi 06 Juillet 2021. C’est précisément à cette occasion que nous avons été sollicitée par sa Majesté Jean Raymond TAKOUKAM, Roi des Bameka pour assurer la défense des intérêts de notre Groupement.
Au cours de ladite descente, en présence : des autorités Administratives, des Chefs de Groupements concernés (Bameka et Bamougoum) accompagnés de leurs notables, des personnes ressources ainsi que des populations , des échanges fructueux ont eu lieu ; chacune des parties ayant fait valoir ses prétentions.
Nous avons fait le rappel historique de ce conflit ainsi que les étapes de son règlement définitif, suivi du commencement d’exécution interrompu en 1977 ; pour conclure en indiquant aux membres de la Commission que ce qui était désormais attendu de l’administration, était la poursuite de la matérialisation des limites telles que décrites dans la décision N°-102/DR/RBK du 13 Avril 1957.
Par un jeu de questions-réponses, des éclaircissements nécessaires ont été fournis aux membres de la Commission Nationale de Règlement de Litiges.
Les Membres de la Commission accompagnés de toutes les parties prenantes ainsi que des populations ont sillonné les groupements sur près de huit (08) kilomètres, identifiant au passage les limites naturelles ainsi que les repères de la nouvelle limite dite « arbitraire » suivant les termes de la décision N°102/DR/RBK rendue le 13 avril 1957 par M .DELAUNEY, alors Administrateur en Chef de la France d’Outre-Mer, Chef de la Région Bamiléké.
A aucun moment la « communauté Bassang » n’est invitée aux débats ; d’ailleurs elle n’a jamais existé aux dires mêmes du Président de la Commission.
A la fin des travaux, il se dégage au sein de la forte communauté Bameka présente sur les lieux, le sentiment d’apaisement et de sérénité dans l’attente du rapport final.
Curieusement, après 18 mois d’attente des conclusions de la Commission Nationale ainsi que la poursuite des travaux de matérialisation des limites entre les Groupements Bameka et Bamougoum, nous recevons de nouveau un message porté du Gouverneur de la Région de l’Ouest nous informant qu’une nouvelle descente de la commission Nationale s’effectuera le 02 février 2023.
A l’occasion de cette nouvelle descente, nous réalisons, suivant le mot introductif du Président de la Commission que cette dernière se justifie par l’intervention de la « communauté Bassang ». Au cours des échanges du 02 février 2023, nous avons démontré avec véhémence que la prétendue « communauté Bassang » dont les représentants se présentaient comme étant la 4éme génération des descendants Bassang ne sauraient s’immixer dans un conflit frontalier réglé depuis 1957 sans la moindre revendication des 1ere, 2eme et 3eme générations de BASSANG. La 4eme génération étant à tout égard une création « ex nihilo » puisque de l’analyse de toute la documentation existante, laquelle retrace les étapes de règlement du différend frontalier entre Bameka et Bamougoum, il ne ressort nulle part l’existence de ce qui est aujourd’hui appelé tantôt « village tampon, » tantôt « communauté Bassang ».
28 mois après la dernière descente de la Commission, les conclusions sont toujours attendues.
Notons au passage que dans cet intervalle, le Groupement Bamougoum et certains acteurs s’arrogent des droits, multiplient les actes de provocations et d’usurpation de titre, entre autres :
- A l’occasion de la célébration de la 51éme fête de l’Unité Nationale (20 mai 2023) la médaille de Chevalier du Mérite Camerounais a été décernée au « chef traditionnel de la zone TAMPON BASSANG ( Bafoussam 1er) !!! Entité juridiquement inexistante.
- le 30 juin 2023, le Chef du Groupement Bamougoum faisait don au Gouvernement du Cameroun (Ministère de la défense) d’un lopin de terre d’une capacité superficielle de dix (10) hectares situé à KOUABANG (initialement dénommée Nkeleng) pour la construction d’un parcours vita par le génie militaire.
Bien évidemment, cet acte de donation une fois découvert par le Groupement Bameka, a fait l’objet de contestation ; non pas que le Groupement Bameka soit contre le projet de construction du parcours vita, mais pour attirer l’attention des autorités sur le fait que la parcelle objet de la donation n’appartient pas au Groupement Bamougoum, puisque située dans la zone litigieuse.
Vivement que la décision N°-102/DR/RBK du 13 Avril 1957 soit exécutée à la lettre afin que le Groupement Bameka puisse jouir en toute quiétude de cette portion de terre qui lui appartient et pour laquelle nous avons tous un devoir de revendication et de préservation en mémoire du Chef TAKOUKAM suivant sa propre recommandation « Même si je venais à mourir, n’abandonnez pas notre terre de N’sang ! ».

Avocate au Barreau du Cameroun







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